Le Sang des fleurs – Johana Sinisalo

« Nous sommes en 2025. Le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles, sorte de mystère écologique apparu en 2006, s’est considérablement aggravé, au point que la plupart des pays – et les États-Unis en première ligne – doivent faire face à une grave crise agricole, les abeilles étant un composant essentiel de la chaîne alimentaire. Les ruches d’Orvo, un apiculteur amateur finlandais ébranlé par une tragédie familiale récente, ne sont pas épargnées. Un roman d’anticipation écologique nerveux, engagé et savamment agencé, dans lequel on retrouve le goût de Johanna Sinisalo pour le fantastique poétique qui avait fait le succès de Jamais avant le coucher du soleil.«

Le sang des fleurs de Johana Sinisalo est un récit fort qui peut se résumer rapidement. Cette brièveté est loin d’être synonyme de faiblesse, bien au contraire. L’auteur nous propose le récit d’un apiculteur épouvanté par la perte de ses colonies, l’histoire d’un père découvrant la personnalité de son fils, et le suivi de blogs révolutionnaires.

L’apiculture, ça pique

Orvo est un apiculteur amateur qui possède une dizaine de colonies (d’abeilles). Un jour en allant contrôler ses précieuses bestioles, notre ami a l’immense surprise de soulever le toit d’une ruche vide, désertée.

Dans la vie de tous les jours, le bonhomme est croque-mort. Vous vous demandez quel rapport, il y a entre les deux. Aucun. Si ce n’est que l’apiculture est la célébration de la vie, l’abeille domestique pollinise 80 % des espèces végétales… par conséquent, il est possible de s’imaginer le désastre promis à la Terre si cet insecte venait à disparaître. J’ajouterai que théoriquement, une colonie d’abeille est immortelle, éternelle. La vie dans toutes sa splendeur. Une savoureuse opposition dans la l’existence de sieur Orvo…

Dès 2006 les USA connaissent les premiers signes du syndrome CCD (Colony Colapse Disorder) ou syndrome de disparition des colonies, qui consiste à l’évanouissement brutal d’une colonie. Du jour au lendemain. Je sens bien que pour la plupart d’entre vous mon propos s’apparente au discours d’une chèvre bretonne devant un parterre de gastéropodes radioactifs.

Je vous donne donc quelques éléments de compréhension. Une colonie d’abeille élit domicile dans une caisse de bois (ou le creux d’un arbre et parfois dans l’espace entre votre volet et fenêtres), sa maison devient définitive. Elle va y élever les reines qui vont se succéder, les petites abeilles qui animent cette communauté, les mâles qui seront étêtés à la fin de chaque été, et faire le miel. La colonie se renouvelle, mais ne quitte jamais cet abri. Jamais. A moins qu’il y ait un problème du style incendie, pour vous donner une idée de l’attachement de la colonie à sa demeure. Plus sédentaire, tu meurs.

Ainsi, la désertion brutale est-elle une anomalie en dehors d’une cause grave identifiable (incendie, pesticide, inondation). Le phénomène s’est produit aux USA à partir de 2006, et a d’abord rencontré une certaine… incrédulité (« c’est la faute de l’apiculteur« ) jusqu’à ce qu’il se propage à plusieurs exploitations. Oui, il touche aussi l’Europe, seule l’Australie semble épargnée à l’heure actuelle. (Quelques pistes suggèrent des agents pétro-chimiques,..)

Pour ceux qui sont curieux, cela m’est arrivé par deux fois, dont une il y a quinze jours. Je n’ai aucune explication, les ruches à proximité vont bien et restent animées. Cette anomalie bouleverse l’apiculteur, et j’avais les larmes aux yeux.

Donc, Johana Sinisalo utilise ce désordre aujourd’hui connu et va au-delà. En 2006, les disparitions sont loin d’être massives sans être anecdotiques, elles interpellent plus par leur brutalité que par la quantité. Mais en 2025, elle élargit l’ampleur des évanouissements : ce n’est plus le CCD mais le CCC pour Colony Collapse Catastroph, la disparition catastrophique des colonies… qui devient massive et plus répandue. L’horizon s’assombrit soudainement.

Orvo, notre protagoniste principal découvre donc une ruche vide. Il est bouleversé. Il cherche des pourquoi, comment et où… Je ne vais pas aller plus loin sur cette trame. Sachez simplement que c’est émouvant, qu’elle contribue à soutenir le propos de l’auteur et qu’il y a beaucoup de poésie dans l’idée. Nous flirtons largement avec le fantastique.

Toute histoire familiale

Cette intrigue apicole n’est pas le seul levier de l’auteur. L’histoire contée est plus intime car, s’axant autour des relations pères-fils. Orvo est à la fois l’un et l’autre; dans les deux sens, les interactions n’ont pas été usuelles. Son propre paternel a souvent été absent, appelé par monts et vaux pour son activité professionnelle. L’amour est bien présent, la chaleur un peu moins. Nous découvrons cette histoire au fil des pages, alors que notre apiculteur se souvient et compare avec ce que fut ses propres interactions avec son fils.

Pas de mystère, dès le premier chapitre, nous apprenons que ce dernier est mort. Le pourquoi et comment, sans être une enquête policière est le cœur de ce roman. Et ces recherches sont purement celles d’un père qui découvre pour la première fois la personnalité et les convictions de son fils, si réservé. Loin d’être sur le registre légal, le filtre paternel s’applique, avec tout son cortège affectif et émotionnel. Orvo passe de l’incrédulité au doute, de la fierté à abattement et surtout une sorte d’effarement en comprenant combien il était loin de son rejeton. Nous vivons ces découvertes et ses émotions dans une remise en cause constante,  car tout se fait par l’entremise de ce protagoniste.

Des blogs explosifs

Certes, la police enquête de son côté. Aussi, les investigations d’Orvo se concentre sur les éléments qui lui sont accessibles : le – ou plutôt – les blogs tenus par son fiston.

Ce dernier a pris à cœur la cause animale, et si dans un premier site, les propos sont convaincus mais soft, très vite le lecteur prend contact avec le second, bien plus incisif. Une guerre est déclarée entre l’espèce humaine et les animaux, il en est un des champions et ne reculera devant aucun moyen pour défendre tout un ensemble de la faune menacée par le redoutable prédateur humain.

Le procédé employé par l’auteur peut déconcerter le lecteur. Les articles des blogs sont « reproduits », avec les commentaires des abonnés ou des gens de passage, ainsi que les réponses.

C’est à la fois déconcertant, mais également marquant et vraisemblable, surtout dans le contexte actuel, ou les vegans attaquent physiquement boucheries et bouchers… J’avoue que j’ai eu froid dans le dos à l’occasion en lisant ce roman. Les articles du blogs, jouant sur un jeu de rôle assumé, sont même très convaincants par la passion dégagée et les arguments philosophiques déployés. La pertinence des commentaires ajoute une pierre solide à cet édifice de mots, avec des thèses contradictoires, et ses messages mesurés bien souvent (certains troll également, très différent de Mon Troll préféré….).

Des voix pour un seul message

Il y a ainsi une dimension polyphonique dans ce roman, avec la trame axée autour de la disparition des abeilles, le bouleversement d’Orvo appuyant la dimension émotionnelle, et l’intrigue liée à la mort de son fils touchant les tripes et le cœur de notre apiculteur.

Johana Sinisalo s’engage avec ce texte. Son message est appuyé et sans équivoque. Toutefois, ce n’est pas un plaidoyer végétarien qui cherche à vous culpabiliser si vous êtes omnivore. Les blogs présentés sont certes dans cette veine jusqu’au-boutiste, revendiquant et assumant un terrorisme écologique, exigeant que l’homme change sa nature. Toutefois, l’auteur cherche à équilibrer son propos par l’activité apicole d’Orvo, qui déploie des trésors de patience et de passion auprès de ses bestioles.

L’homme est omnivore, mais la mesure et le respect doivent primer sur l’appétence.

Un roman engagé et passionné qui centre son propos sur le respect de la vie et des animaux. Émotionnellement fort, il peut être perçu un chouïa trop revendicatif pour porter à toutes les oreilles. La structure choisie participe à l’immersion du lecteur qui sortira complétement chamboulé par cette aventure, les raisons, elles, en seront diverses…

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez l’anticipation bien mise en scène
  • vous souhaitez lire un roman bucolique
  • vous êtes végétarien
je vous le déconseille si :
  • Vous aimez votre steak épais et sanguinolent
  • Vous avez la phobie des abeilles
  • Si vous souhaitez lire un roman où on tape partout

5 réflexions au sujet de « Le Sang des fleurs – Johana Sinisalo »

  1. Il ne faut avoir jamais vu le combat à mort de 2 mâles pour parler de respect de la vie chez les animaux :c’est la loi du plus fort .
    Dans le règne animal ,c’est l’instinct de survie et donc la procréation qui domine .Lorsqu’on donnera qq. crédits aux centres de recherches les scientifiques découvriront banalement les causes du CCD.

    Aimé par 1 personne

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